Être un arbre
C’est un bel arbre.
Je le regarde et imagine
cent vies avant et après moi.
J’ai envie d’être un arbre.
Quand je pense à l’arbre,
c’est dans son entièreté
que je le vois.
Quand je songe à être lui,
c’est en son tronc
et ses branches que je me sens.
Je ne m’imagine pas feuilles,
frissonnant avec le soleil
et combattant pour ma survie contre le vent.
Je ne me conçois pas racines,
empêtré dans le sombre de la terre
et partager un millénaire avec les lombrics.
Je me suis approché de lui,
nu,
j’ai embrassé son tronc
j’ai laissé l’écorce m’apprivoiser.
Je me suis tu.
Nous avons parlé.
Je suis resté ainsi
des mois entiers.
Engourdi. Endormi.
J’ai vécu les quatre saisons,
contre lui,
la tête enfouie
entre l’aubier et le cambium.
Je n’avais plus de notion de lumière
ni de nuit,
ma peau n’avait plus l’air de peau.
Puis il a accepté que je sois lui.
Le temps d’un tour de cadran.
Que je sois ce tronc et ces branches.
J’avais envie de soleil,
de jour et de nuit,
de vie.
J’avais envie de ce retournement.
Une fois totalement happé,
Je me suis réveillé.
Végétal.
Je me suis senti tiraillé.
Mes racines tenaient fort,
elles tentaient de descendre
plus profond.
Mes branches se faisaient houspiller,
balayées par le vent
Je me suis senti au supplice,
écartelé avec la sensation
de démembrement.
Mes feuilles s’arrachaient
douloureusement
dans une extrême lenteur.
Et la lumière et ce soleil,
que je désirais à nouveau goûter,
me faisaient défaut.
La journée qui s’en suivit
me parut une éternité.
Je ne voyais pas la nuit
passer, j’avais l’impression
de vivre le noir infini.
Puis il est revenu.
J’étouffais, si près de lui.
De la moelle
et du bois de cœur
il m’a repoussé,
j’ai traversé l’écorce
à la manière
d’une branche pourrie
et suis tombé au sol.
Depuis je retourne le voir.
Avant de le vivre,
je l’avais morcelé
et m’étais illusionné
sur sa condition.
Je reste à distance,
je le respecte
et savoure mon état
de contemplation.
La Tour d'Aigues, 12 mars 2009
Crédit photo : Antoine
Crédit photo : Antoine